Humanitaire en mer abonné

Antoine Laurent navigue depuis son adolescence sur des bateaux de commerce. En 2016, indigné par le sort des migrants et poussé par l’envie d’être utile, il s’engage avec SOS Méditerranée sur l’Aquarius où il coordonne les opérations au secours des réfugiés en provenance de Libye. 

Par La rédaction— Publié le 12/01/2018 à 14h35

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Comment est née l’idée d’affréter un bateau pour secourir les migrants en Méditerranée ?

De la volonté de deux personnes. Klaus Vogel, capitaine de la marine marchande allemande, d’abord. Dans les années 70, alors qu’il naviguait en mer de Chine, il a été traumatisé par le sort des boat people. À la fin de Mare Nostrum [opération de sauvetage menée par l’armée italienne, 2013-2014], il a voulu apporter une solution humanitaire aux gens qui fuyaient par la Libye. À l’époque, il y avait déjà des ONG qui sillonnaient la Méditerranée mais avec des petites capacités. Klaus Vogel s’est rapproché d’une personne qui avait l’expérience de terrain avec des ONG, Sophie Beau. Lui avait la vision du marin et du devoir de solidarité avec des personnes en détresse en mer ; elle le savoir-faire de la gestion d’un projet humanitaire.

Quelle est la spécificité de SOS Méditerranée ?


Parcours

1991 :Naissance d’Antoine Laurent à Lorient.

2015 : Création de SOS Méditerranée par Sophie Beau et Klaus Vogel.

Antoine Laurent obtient son diplôme de l’École nationale supérieure maritime du Havre.

Mai 2016 : Première mission au bord de l’Aquarius en tant que sauveteur en mer.

2017 : Responsable des opérations maritimes de SOS Méditerranée France.

Très vite, Klaus et Sophie se sont rendu compte que les gens attendaient une réaction de la société civile pour apporter une solution humanitaire adéquate à ces catastrophes se déroulant au large des côtes européennes. Le principe qu’ils ont imaginé était simple : une association spécialisée dans le sauvetage de masse en mer fait appel à une compagnie maritime qui leur loue un navire et à un partenaire médical, Médecins du monde hier, MSF [Médecins sans frontières] aujourd’hui, chargé de la protection et des soins aux naufragés. À la fin de l’été 2015, une opération de financement participatif a été lancée. En parallèle, la photo du petit Aylan Kurdi, retrouvé sans vie sur une plage turque, a créé un choc médiatique. Fin février 2016, l’Aquarius prenait le large. Tout est allé très vite.

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager ?

Il n’y a pas vraiment eu de déclic. J’avais envie de faire quelque chose qui soit utile à la société, comme beaucoup de jeunes. Là, tout était à créer et c’est ce qui me plaisait, cette possibilité d’apporter une pierre à l’édifice. Et puis c’était un projet européen, soutenu par des personnalités allemandes, françaises, italiennes… Se dire que tout n’est pas perdu, que l’Europe peut se mobiliser sur un sujet comme celui-là, c’est une vraie satisfaction pour des gens de ma génération. En plus, je pouvais apporter des compétences que j’avais développées professionnellement. J’ai commencé à travailler très tôt dans la marine marchande. À 17 ans, je naviguais sur des bateaux de commerce, en immersion complète dans la mondialisation. En sortant du lycée, je me suis retrouvé propulsé en Chine, à Singapour, dans un monde que je ne connaissais pas et qu’on n’apprend pas sur les bancs de l’école. J’ai pris conscience de ce qu’est l’esclavage moderne en travaillant aux côtés de marins philippins.

Une mission humanitaire sur un bateau, c’est particulier ?

Bien sûr. L’espace y est contraint. Les missions durent entre six et neuf semaines. On ne fait pas de maraude où toutes les bonnes volontés sont les bienvenues. Les profils sont très spécifiques. Parmi nous, il y a un pilote qui a plus de vingt-cinq ans d’expérience, un autre est spécialisé dans l’affrètement de navire, notre président est l’une des plus grandes figures du milieu maritime français… Ce ne sont pas des gens qui viennent de l’humanitaire.
Moi, j’ai travaillé dans le pétrole, un milieu très exigeant, avec une pression financière énorme. En matière de sécurité, c’est le nec plus ultra. Je m’en suis inspiré pour coordonner les actions de SOS Méditerranée.

À quoi ressemble une journée sur l’Aquarius ?

En tout, nous sommes 35 sur le bateau : 13 de SOS Méditerranée, 9 de Médecins sans frontières, plus l’équipe de marins employés par la compagnie maritime allemande qui nous loue le bateau. Il y a un petit protocole pour instaurer un rythme. Chaque journée commence par un brief de l’ensemble de l’équipage à 8 h 15.
On évoque la météo, l’actualité… Ensuite, les scénarios diffèrent selon les jours : soit il ne se passe rien et on fait de la formation, de la maintenance, des exercices. Soit il y a un sauvetage et là on entre dans la bulle opérationnelle, alors les rôles et le rythme changent d’un coup.

Quand ils sont à bord de l’Aquarius, c’est une petite parenthèse dans leur vie, une zone tampon entre l’Afrique et l’Europe, où ils ne sont plus migrants mais juste des êtres humains en attente d’un avenir qu’ils espèrent meilleur

C’est-à-dire ?

Ça m’a beaucoup marqué lors de mes premières opérations. Le bateau est un lieu très calme. Il n’y a pas un bruit. Et, d’un coup, on se retrouve en situation de panique, dans le silence, avec 250 personnes à deux doigts de se noyer au milieu de nulle part. Ce sont des moments où les émotions sont très très fortes. La mort en Méditerranée centrale est liée aux embarcations surchargées, au fait que les passeurs n’ont aucune considération pour la survie des gens. Ils vont
les entasser comme du bétail pour faire un maximum d’argent. Notre plus grosse frayeur, c’est que les bateaux cassent, qu’un mouvement de panique pousse les gens à l’eau ou que certains se fassent piétiner au fond du bateau.

Ces situations arrivent pendant des sauvetages ?

Oui, c’est arrivé. On a mis en place des techniques pour éviter ces catastrophes. Mais les embarcations sont de qualité médiocre. Elles ont une fragilité proportionnelle à celle des gens qui s’entassent dessus.
Elles ont été conçues pour ça. Un bateau pneumatique s’achète sur internet pour 150 dollars. Vous ajoutez…

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