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Bûcherons : l’appel de la forêt

Publié le 19/05/2018

Dans la forêt alsacienne, les bûcherons abattent des géants… et replantent des jeunes pousses. Respectueux de leur environnement, les travailleurs du bois exercent leur métier avec passion, sans ignorer les risques afférents.

À une dizaine de kilomètres de Sélestat, au cœur de l’Alsace, s’élève le majestueux château du Haut-Kœnigsbourg. Des pentes abruptes de la forêt vosgienne, que la forteresse surplombe, parvient le « chant » des tronçonneuses : aux commandes, les bûcherons, rassemblés par équipes de trois pour des raisons de sécurité, reconnaissables à leur équipement de sécurité, s’affairent. Ils taillent, coupent, débardent et replantent les arbres. Ils sont chargés d’entretenir ce vert patrimoine naturel*. Sur le territoire alsacien, 75% de la surface forestière appartient au domaine public (soit la proportion inverse à la moyenne nationale). Si la gestion en revient à l’ONF (Office national des forêts), qui emploie 200 bûcherons en Alsace, 160 autres sont employés sous contrat de droit privé par un Sivu (syndicat intercommunal à vocation unique), ce qui permet à des communes de se regrouper afin de les embaucher en commun.

ThierrySieffer VJarousseauAfin de prévenir les dangers, souvent mortels, liés à l’exercice du métier, la convention collective des « exploitations forestières de la région Alsace », signée en 1975 et révisée en 2007, stipule notamment que « le travail isolé est interdit pour les opérations d’abattage, pour les travaux de grimpage, lors des traitements phytosanitaires et sur demande du médecin du travail ». De plus, la liste des équipements de sécurité obligatoires est impressionnante. Et pour cause. « Selon les statistiques de la MSA [Sécurité sociale agricole], l’espérance de vie des bûcherons est de 62,5 ans ; pire, les accidents du travail et la pénibilité du métier font que nos collègues se retrouvent dans l’incapacité de finir leur carrière en forêt en moyenne vers 52 ans… avec, bien entendu, le risque de se voir licencier pour inaptitude », précise Thierry Sieffer [photo], bûcheron, délégué syndical CFDT, et maire de son village, Ranrupt.

PatrickBangert VJarousseauLa litanie des chiffres, parfois terrifiants, ne s’arrête pas là : Patrick Bangert [photo ci-contre], figure « historique » du syndicalisme CFDT chez les bûcherons alsaciens, aujourd’hui à la lisière de la retraite, rappelle qu’en Alsace un bûcheron meurt en forêt tous les six mois. « On a compté 20 morts en dix ans. Près d’un travailleur forestier sur 22 n’arrive jamais en retraite, soit victime d’un accident du travail soit atteint d’une maladie professionnelle. »
Des chiffres qui font de cette profession l’une des plus dangereuses de France.

La sécurité doit rester une priorité

Face à cette situation, la CFDT de la région Grand Est ne reste pas les bras croisés. Jean-Luc Rué, délégué régional chargé de la santé au travail, explique : « La filière bois est l’une de nos priorités, avec un objectif clair : la sécurité au travail. » Et de préciser. « Notre objectif est qu’il n’y ait plus aucun mort au travail dans nos forêts. Afin d’y parvenir, l’union régionale CFDT se bat pour que des critères impératifs et obligatoires de sécurité soient imposés lors de l’embauche de bûcherons, en particulier entre donneurs d’ordre et sous-traitants. »

les chutes d’arbres et de branches, restent la principale cause de décès au travail chez les bûcherons.


Si l’ONF veille aux équipements et aux postures afin de réduire la pénibilité et l’apparition de troubles musculo-squelettiques au sein de la profession, aucun travail n’a encore été réellement engagé sur les chutes d’arbres ou de branches, qui restent pourtant la principale cause de décès au travail chez les bûcherons.

Autre axe de travail de la CFDT-Grand Est porté par Jean-Luc : « Obtenir la mise en place effective d’une formation aux risques majeurs concernant la sécurité tout au long de la carrière des bûcherons. » Bernard, délégué syndical CFDT, qui exerce depuis trente-sept ans, abonde dans ce sens : « C’est triste mais on voit trop souvent des collègues expérimentés ne plus porter autant d’attention aux règles de sécurité. Or, dans un métier comme le nôtre, ça peut vite mal finir. » C’est la raison pour laquelle les bûcherons sont tenus de travailler par équipes de trois : en cas d’accident, il faut quelqu’un pour rester avec le blessé pendant que l’autre équipier alerte les secours. Même avec les moyens de communication modernes, cela peut se révéler compliqué de contacter les secours au beau milieu d’une forêt de montage… et encore plus long d’accéder au blessé et de l’évacuer jusqu’à l’hôpital.

Vocation bûcheron

Unbucheron VJarousseauCes conditions de travail ne doivent pas faire oublier que l’on ne devient pas bûcheron par hasard mais bien par passion. Le cursus ne s’improvise pas : après une formation initiale en CAP,
une commission évalue les formations que doit impérativement suivre le nouvel embauché. « On ne te lâche pas dans le métier avec ta hache et ta tronçonneuse sans un réel parcours de formation », sourit Bernard, qui en a vu passer, des jeunes, en plus de trente-cinq ans de carrière. « Il faut en moyenne cinq ans après la sortie de l’école pour devenir un bûcheron autonome », ajoute Thierry.

Au-delà des indispensables formations relatives à la sécurité et la technicité du travail, il faut du temps pour apprendre à connaître et respecter la forêt comme un bien commun et une ressource vivante. « Dans notre région, certaines forêts en montage ne sont accessibles qu’à pied. La mécanisation n’y a pas sa place. Notre connaissance et notre amour du métier sont donc indispensables à la bonne récolte du bois et à la bonne gestion des forêts. Le fait que la forêt alsacienne soit à la fois la plus rentable et la plus durable de France ne doit rien au hasard », insiste Thierry. D’où l’inquiétude lorsque l’on regarde la pyramide des âges : 100 des 160 bûcherons alsaciens employés par un Sivu partiront en retraite dans les cinq ans. Et les embauches ne semblent pas suivre.

Préserver ce capital vivant

Cette vocation et ce respect pour la forêt, écosystème vivant et fragile, sont indispensables à la préservation et à la mise en valeur de cet environnement face aux élus qui n’y verraient qu’une ressource économique. « L’erreur à ne surtout pas commettre serait d’appliquer à notre système le modèle productiviste qui fait des ravages en agriculture depuis les années 60 », alerte Thierry, lui qui porte la double casquette de bûcheron et de maire.

Il reconnaît qu’aujourd’hui les élus locaux ne sont plus insensibles aux arguments relatifs au développement durable et soutenable. « À terme, ils n’ont de toute façon pas le choix, souligne Didier Zerr, délégué du personnel et élu au CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail). Notre unité de mesure du temps, quand on abat un arbre et qu’on en replante un, c’est le siècle, donc si on veut léguer une forêt vivante aux générations futures on ne peut pas raisonner en années budgétaires. Notre profession a un impact direct sur le milieu et l’environnement. »

Le plan d’aménagement de l’ONF limite les coupes d’arbres en fonction de l’accroissement naturel de chaque essence. « On ne peut couper plus que ce que la forêt produit sur la même période », ajoute Thierry. Et de filer la métaphore économique : on ne prélève que les intérêts en préservant toujours le capital… Un principe que les financiers devraient comprendre et admettre.  

* La filière forêt dans la Région Grand Est représente 55 500 emplois et 9 870 entreprises.

nballot@cfdt.fr

© Photos Vincent Jarousseau