
« Les acteurs de la santé sont toujours en première ligne lors des catastrophes naturelles. » Sophie Perdriau, chargée de mission DROM-COM
Samedi 14 décembre, le cyclone Chido a dévasté Mayotte en quelques heures, les rafales de vent atteignant 220 km/h. Les habitations ne sont plus que des tas de tôle, gravats et morceaux de bois éparpillés à terre. Le seul hôpital, situé à Mamoudzou, est également très endommagé. Sophie Perdriau, chargée de mission DROM-COM à la fédération CFDT santé-sociaux, est en lien permanent avec l’équipe syndicale du CHM. Elle dresse un état des lieux cataclysmique.

Le CH de Mayotte a perdu des toitures sur plusieurs de ses bâtiments.
CFDT santé-sociaux. L’hôpital de Mayotte a été dévasté. As-tu des nouvelles du personnel soignant et de l’équipe syndicale CFDT ?
Sophie Perdriau. Des membres du personnel de santé n’ont toujours pas répondu présents depuis le 14 décembre. Étant sans nouvelles de quelques-uns de nos militant·e·s, nous sommes aux aguets. C’est compliqué de savoir combien de personnes manquent à l’appel, sachant que certaines d’entre elles n’ont pas encore pointé leur présence au CHM, sans doute pour des raisons techniques : les communications téléphoniques sont coupées sur presque tout le territoire, ainsi que l’accès à Internet, et les routes sont impraticables dans certains quartiers. On espère qu’elles n’ont pas été victimes du pire.
Par ailleurs, le personnel soignant en poste depuis samedi est épuisé, il faudrait qu’il soit remplacé au plus vite.
Le personnel soignant en poste depuis samedi est épuisé, il faudrait qu’il soit remplacé au plus vite. »
Deux mandatés ANFH se trouvaient à La Réunion, ne pouvant pas rentrer chez eux à Mayotte. Une militante en responsabilité sur le syndicat départemental santé-sociaux Mayotte se trouve toujours bloquée dans l’Hexagone. Elle travaille dans un service de maternité. Ces personnes vivent dans la crainte de recevoir de mauvaises nouvelles de leurs familles, dont certaines n’ont eu aucun contact pendant plusieurs jours. L’attente et la culpabilité les rongent, elles voudraient être auprès des leurs. Les personnels soignants bloqués à l’extérieur font aussi cruellement défaut au CHM.
Comment s’organise l’hôpital de Mayotte pour accueillir les victimes ?
L'hôpital est situé à Mamoudzou, mais d’autres centres de soins du CHM implantés sur le territoire, ont été détruits. Personne n’a été épargné. Évidemment, les toits en tôle ont tous été emportés par le vent, beaucoup de vitres ont été soufflées. Le CHM a perdu des toitures sur plusieurs de ses bâtiments, également. Des quartiers entiers ont été rayés de la carte.
Un service d’urgence de fortune a été monté sur le parking du CHM. Mais avec toute la pluie qui est tombée, les égouts ont débordé et il a dû être redéplacé. Un parcours de prise en charge s’est mis en place. L’expérience de la pandémie de Covid-19 a permis de déployer le même type d’aménagement pour les victimes du cyclone. Des maisonnettes gonflables ont été livrées par bateaux en provenance de La Réunion. Des soignant·e·s, qui sont restés mobilisé·e·s depuis le début et ceux·celles qui ont mis un temps considérable pour venir travailler au CHM, ne repartent pas. Ils·elles peuvent au moins se reposer et reprendre des forces avant leur prise de service. Le personnel de santé est hébergé dans ces maisonnettes dont les climatisations, vu la chaleur et l’humidité en saison des pluies, ne sont pas suffisantes.
Comment le personnel du CHM gère-t-il ce cataclysme, sachant que la pénurie de soignant·e·s et la vétusté des locaux existaient déjà avant l’arrivée du cyclone ?
L’équipe CFDT sur place déplore l’inefficacité de la direction qui impose des directives aux personnels soignants, eux-mêmes très inquiets pour leurs proches. Les conditions de travail sont totalement dégradées, voire déplorables. Tout le personnel médical et paramédical se plaint de l’ambiance qui règne à cause d’une direction, sans doute dépassée. La période est déjà suffisamment chaotique pour ne pas rajouter du stress.
La direction a aussi une posture de non-transparence : nos représentant·e·s n’arrivent pas à avoir de réunions de point d’étape. Elle refuse également la venue des journalistes, n’acceptant pas de montrer la réalité.
Des médecins de l’Hexagone rejoignent la réserve sanitaire que notre Fédération a revendiquée auprès du ministère de la Santé. »
On est très inquiets car certains médecins souhaitent rentrer en Métropole. Heureusement, à l’inverse, des médecins de l’Hexagone viennent pour aider et rejoignent la réserve sanitaire que notre Fédération a revendiquée auprès du ministère de la Santé.
Comment dénombrer les blessés et les décès ?
Le nombre de décès officiel et de blessés est transmis par l’hôpital, les seuls connus à ce jour. Beaucoup de migrantes, dont 67,6% sont des Comoriennes, viennent accoucher au CHM, où 11 000 bébés y naissent par an.
Il est compliqué de dénombrer le nombre de morts car, avec une population musulmane à 95%, les rites funéraires font qu’ils enterrent leurs morts très rapidement, souvent sous 24 heures, et actuellement, là où ils peuvent.
Le CH de Mayotte était déjà en proie à l’insalubrité avant le cyclone…
Ce CH fonctionnait déjà à flux tendu avec un manque de personnel criant, bien avant l’arrivée du cyclone, et les bâtiments portaient déjà des marques d’insalubrité.
Le service administratif est très endommagé, à l'image du reste de l'hôpital.
Quels sont les risques en matière d’épidémie, sachant que Mayotte sort à peine d’une grosse vague de choléra ?
L’île se remettait à peine d’une épidémie de choléra. Après le cyclone, les habitant·e·s sont à nouveau en manque d’eau potable auquel s’ajoute le manque de nourriture. Les enterrements ont lieu dans la précipitation, un peu n’importe où. Des corps sont encore sous les décombres. Les sols, qui risquent d’être pollués, atteignent les rivières par ruissellement, et peuvent contaminer l’eau. Et étant donné le manque d’eau, les habitants boivent celle des rivières, sans doute polluée.
Les remontées d’eau des égouts sont également un risque de contamination de l’eau.
Lors de la pandémie de Covid-19, le personnel avait dû demander au CHM d’ouvrir des douches à tous les agent·e·s, à cause du manque d’eau, pour pouvoir se laver quand ils·elles venaient travailler.
Beaucoup de personnes ont eu des maladies de peau. Les infections se propagent au niveau des selles, les gens ne pouvant pas se toujours laver les mains.
Aujourd’hui, la population a soif et faim et reste sans électricité. Ce qui risque d’entraîner des problèmes de malnutrition, de déshydratation, sachant que ce sont les enfants et les personnes âgées qui sont les premiers touchés.
L’île peut-elle se relever d’une telle catastrophe ?
C’est apocalyptique. Comment se relever d’un tel cataclysme ? Mayotte subit également des exactions de bandes. La CFDT avait permis l’obtention de bus affrétés par le CHM pour transporter des personnels soignants sur leur lieu de travail. Ils étaient souvent caillassés… Il régnait dans certains quartiers une ambiance de guerre civile. Aujourd’hui ils sont détruits ou endommagés, comme les ambulances et autres véhicules du CHM.
Les Mahorais font preuve d’une résilience et d’un courage exceptionnel. »
Mais les Mahorais font preuve d’une résilience et d’un courage exceptionnel. Ils ont juste besoin que l’État français leur donne les moyens de se relever, comme il le ferait pour n’importe quel autre département.
Établis-tu un lien entre le cyclone et le réchauffement climatique ?
Les effets du changement climatique sont déjà à l’œuvre et les DROM-COM seront les premiers touchés. Une île est toujours plus impactée que l’intérieur des terres. Il existe un lien direct entre les catastrophes naturelles et les acteur·rice·s de la santé, qui se trouvent toujours en première ligne. Il faut prendre en charge les malades, victimes des catastrophes, et ce sont nos soignant·e·s qui s’en occupent.
Pourtant, la CFDT santé-sociaux avait demandé des investissements matière de santé.
Tout ce que la Fédération santé-sociaux a demandé n’a jamais été réalisé. Il faut savoir que cela fait des années que l’on attend la construction d’un deuxième hôpital, distant de celui de Mamoudzou. Désormais il faudra remettre celui existant en état de fonctionnement optimal avant de pouvoir espérer le second. Un cyclone d’une telle puissance n’avait pas eu lieu depuis 1934. Les infrastructures récentes n’ont pas été construites pour supporter le niveau de puissance du cyclone Chido.
Pour finir cet entretien sur une note d’espoir, tu as une anecdote très touchante à partager.
Ce mardi à Mamoudzou, un policier en patrouille a été interpellé par une famille en détresse : une jeune femme était sur le point d’accoucher et n’avait pas la possibilité de joindre une ambulance. Face à cette urgence, et en l’absence de secours, Anoueche, le policier, n’a pas hésité une seule seconde à intervenir. Dans une maison à moitié détruite, il a accompagné la future maman dans ce moment critique.
Anoueche, policier à Mayotte, est venu en aide à une femme pour l'aider à donner naissance à son bébé. (© Police nationale)
Sans formation et dans l’impossibilité d’appeler les secours à cause du réseau en panne, il est tout de même parvenu à contacter des gendarmes qui l'ont mis en lien avec un urgentiste, pour le guider pendant l’accouchement. Après plusieurs minutes, une petite fille a enfin vu le jour ! Elle pèse 2,270 kg et mesure 45 cm. Quelques heures plus tard, la police locale a annoncé sur les réseaux sociaux que la maman et sa fille se portaient bien tout en saluant le geste héroïque d’Anoueche, qui a préféré rester humble, précisant qu’il s'agissait d’un simple devoir.
Propos recueillis par Emmanuelle Bodiot