Conférence de presse : la CFDT santé-sociaux dénonce la spéculation immobilière chez Ramsay Santé

  • L'actu de la fédération

Une conférence de presse organisée par la CFDT santé-sociaux s’est tenue le mardi 21 janvier dans le 19e, à Paris. La Fédération a commandé une enquête au Cictar, pour comprendre comment Ramsay Santé se sert de l’argent public pour faire de la spéculation immobilière à son profit. Morceaux choisis.

De gauche à droite : Marylise Léon, secrétaire générale CFDT, Mike Lewis, chercheur financier au Cictar, et Ève Rescanières, secrétaire générale CFDT santé-sociaux, le 21 janvier lors de la conférence de presse sur la spéculation immobilière du groupe Ramsay Santé. © Georges Gomes

La CFDT santé-sociaux, conjointement avec le Centre pour la recherche et la responsabilité fiscale des entreprises (Cictar), vient de publier une enquête sur le groupe Ramsay Santé, qui utilise l’argent des fonds publics à des fins de spéculation immobilière. Il aura fallu deux ans pour décortiquer les comptes de ce leader européen des cliniques privées, coté en Bourse.

Ève Rescanières, secrétaire générale CFDT santé-sociaux, Mike Lewis, chercheur financier au Cictar, Loïc Le Noc, secrétaire national CFDT santé-sociaux, Marylise Léon, secrétaire générale CFDT, Brice Marin et Michèle Goya, CFDT santé-sociaux, ont présenté les conclusions du rapport « La spéculation immobilière au cœur du système de santé français : le cas de Ramsay Santé ».

La conférence de presse a permis d’attirer de nombreux journalistes de sites de presse et quotidiens influents : AFP, Mediapart, Les Echos, France inter, Ouest-France, Le Quotidien du médecin, UFC-Que choisir. Deux lanceuses d’alerte étaient présentes également.

J'ai vu les effets néfastes de ces investissements massifs de fonds d’investissement, souvent étrangers, dans notre système de soins. » Ève Rescanières

Infirmière de profession, Ève Rescanières a bien connu ces dérives : « J’ai commencé ma carrière dans une clinique privée lucrative, à l’époque où les cliniques étaient encore détenues par des médecins qui exerçaient leur profession au sein même de leur établissement. Depuis les années 2000, ces cliniques privées ont été vendues à des investisseurs qui ont envahi le secteur de la santé et sont devenus de grands groupes. » Elle-même, en tant qu’infirmière et syndicaliste, a vu « les effets néfastes de ces investissements massifs de fonds d’investissement, souvent étrangers, dans notre système de soins ».

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Ève Rescanières, Brice Martin et Michèle Goya © G. Gomes

 Le rapport dans ses grandes lignes 

Mike Lewis, chercheur financier au Cictar, organisme qui mène partout dans le monde des enquêtes avec des fédérations syndicales, explique sa démarche : « Au début de notre recherche, nous nous posions une simple question : “comment l’argent, qui provient à 85% des fonds publics, est-il dépensé au sein d’un grand groupe hospitalier privé comme Ramsay Santé ?” Les informations financières publiques nous ont permis de comprendre, au niveau global, ce que le groupe dépense en dettes : loyers, location de matériel, personnel, achats, etc. Ce qui est nouveau, c’est que l’entreprise est modestement rentable. »

Cependant, le chercheur financier va plus loin. En même temps, il existe des zones extrêmement rentables du groupe Ramsay Santé, à savoir des filiales, détenant des murs et des terrains des hôpitaux et cliniques de Ramsay, qui en perçoivent des loyers ».

D'ailleurs, le rapport du Cictar est clair : « Ramsay Santé permet à des investisseurs immobiliers d’extraire plus de 245 millions d’euros par an sous forme de loyers : un flux de revenus, provenant en grande partie de fonds publics, qui représente 4,2 fois le bénéfice net du groupe depuis 2020. » D'autres chiffres sont édifiants : « En procédant par extrapolation à l’ensemble du système de santé français, nous estimons que le montant versé par les Ehpad, hôpitaux et cliniques privées en France, aux investisseurs immobiliers privés en 2023, pourrait s’élever à environ 2,5 milliards d’euros, soit l’équivalent des salaires annuels de plus de 82 000 infirmières. »

Le montant versé par les Ehpad, hôpitaux et cliniques privées aux investisseurs immobiliers privés en 2023 pourrait s’élever à environ 2,5 milliards d’euros, soit l’équivalent des salaires annuels de plus de 82 000 infirmières. » Rapport du Cictar

Ève Rescanières ajoute que « pour une clinique, c’est un jeu de pouvoir : elle sort l’argent de l’entité juridique clinique, qui produit l’activité de soins, afin de se mettre en déficit partiellement artificiel, ce qui lui permet de maîtriser sa masse salariale, puisque la clinique est déficitaire ».

Loïc Le Noc complète : « Les revenus d’un hôpital, d’une clinique, ce sont ce qu’ils perçoivent de la part de la Sécurité sociale et des caisses de mutuelle complémentaires santé pour payer l’intervention, etc. […] À cela s’ajoutent des revenus issus de la tarification pour avoir une chambre individuelle, un forfait petit déjeuner master gold composé d’une vieille biscotte et d’un pauvre fond de jus d’orange, c’est-à-dire le reste à charge pour les patients. »

 La transparence, on en parle ? 

Marylise Léon, secrétaire générale CFDT, met l'accent sur l’opacité de ces montages financiers : « Aujourd’hui, comment est-il possible que l’économie de rente du secteur lucratif privé se développe dans une telle opacité ? Ce rapport permet d’éclairer ce dysfonctionnement qui nécessite d’être posé dans le débat public, et que les pouvoirs publics apportent des réponses. Avec cette opacité et cette boîte noire, on ne répond pas aux enjeux démocratiques qui nous traversent aujourd’hui. »

Elle ajoute : « C’est indéfendable pour des citoyens, professionnels de santé et usagers de voir qu’il existe de tels mécaniques possibles dans un contexte budgétaire extrêmement contraint, et où l’on dit à tout le monde qu’il va falloir faire des efforts. […] Ces travaux-là rejoignent ce que l’on soutient dans le cadre des discussions du Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, où la CFDT porte le besoin de transparence et l’exigence d’une juste dépense dans l’usage qui est fait de l’argent public par les acteurs économiques. »

Dans un contexte où on nous donne le vertige avec tous ces milliards d’euros à trouver, […] comment peut-on accepter que des fonds publics permettent de financer de tout autres intérêts que ceux des citoyens. » Marylise Léon

Marylise Léon conclut : « Dans un contexte où on nous donne le vertige avec tous ces milliards d’euros à trouver, […] comment de tels fonctionnements sont possibles et comment peut-on accepter, en 2025, que des fonds publics permettent de financer de tout autres intérêts que ceux des usagers et des citoyens. »

En effet, le rapport du Cictar, qui se base sur des documents rendus publics, va dans le même sens sur ce manque de transparence : « Les cliniques et hôpitaux privés, exploités par Ramsay Santé, ne divulguent pas systématiquement le montant des loyers et autres paiements qu’il effectuent au profit d’investisseurs externes. Ces loyers sont généralement versés à des sociétés civiles immobilières (SCI), qui, en vertu du droit français, n’ont aucune obligation de publier leurs comptes. »

C’est quand même, à l’origine, vos cotisations de Sécurité sociale, de complémentaire santé, qui finissent dans les coffres-forts de retraités trumpistes en Floride. » Loïc Le Noc

Acerbe, Loïc Le Noc ajoute : « La transparence totale, ce n’est pas gagné ! […] ni pour Ramsay, ni pour beaucoup d’autres. L’an dernier, nous apprenions que le Sénat allait mener une enquête sur la financiarisation de la santé. On se met en contact avec les sénateurs, qui promettent de nous mettre dans la boucle. Les mois passent, sans nouvelles… Finalement, les organisations syndicales ne sont pas auditionnées. Le Sénat publie un rapport épais, mais ce n’est pas du lourd. On n’y trouve rien. Même le directeur général de la Caisse nationale de l’Assurance maladie (CNAM) reconnaît que, face aux opérateurs de la santé lucrative, la Sécurité sociale est payeur aveugle. Elle n’a aucune capacité d’investigation, parce qu’aucune loi ne le lui permet. La CFDT exige donc une transparence, et de ce fait, des évolutions législatives en la matière, car les 2,5 milliards d’euros, au-delà de pouvoir financer 82 000 postes infirmiers, c’est quand même, à l’origine, vos cotisations de Sécurité sociale, de complémentaire santé, qui finissent dans les coffres-forts de retraités trumpistes en Floride. »

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Ève Rescanières au micro de France Inter. © G. Gomes

 L’avenant 33 

Marylise Léon met en parallèle la non-application de l’avenant 33 (relatif à la convention collective de la branche sanitaire et médico-sociale) avec la fuite de l'argent public : « J’entends beaucoup parler de la Fédération de l’hospitalisation privée concernant l’avenant 33. Lorsqu’on se retrouve face à des employeurs, qui signent un accord prévoyant des revalorisations salariales, une rénovation des classifications, et qui, au moment de passer à la concrétisation de cet accord pour lequel ils se sont engagés, vont taper à la porte des ministères en expliquant qu’ils n’ont pas l’argent, la CFDT se trouve dans son rôle de dénoncer ces pratiques dans le débat public. »

Ève Rescanières, qui se bat pour application de l’avenant 33 depuis deux ans, ajoute : « On n’est pas sûrs d’avoir en face de nous des personnes qui souhaitent réguler le secteur. […] Étant en pleine discussion sur le PLFSS, nous allons envoyer le rapport Cictar aux parlementaires et à la ministre de la Santé pour leur demander : “Que fait-on maintenant ?” »

Concernant l’avenant 33, elle précise que la CFDT santé-sociaux « a signé un accord en février 2023, ce qui illustre combien les gouvernements successifs ont été mal à l’aise avec ce sujet. L’avenant 33 aurait dû s’appliquer au 1er janvier 2025, avec effet rétroactif sur 2024. Et la Chambre patronale ne cesse de demander des fonds aux pouvoirs publics pour appliquer cet accord. »

 Et les salariés dans tout ça ? 

Pour les salariés, Ève Rescanières explique qu’« il n’y a pas de négociations salariales possibles, étant donné que les cliniques privées sont déficitaires ».

Et d’ajouter : « Il y a un impact sur les salaires. Nous avons une convention collective […] et les employeurs refusent d’appliquer la nouvelle classification que l’on a négociée, qui comporte 72 coefficients en dessous du smic. Cela signifie qu’une aide-soignante peut rester vingt ans au smic, sans perspectives de carrière et sans reconnaissance de l’expérience acquise dans son travail au sein de cette clinique. De ce fait, il y a plus de turnover, une précarisation de l’emploi et une détérioration des conditions de travail. La santé mentale des employés est également en jeu, car ils doivent travailler plus avec moins de moyens. »

Brice Marin, délégué syndical CFDT santé-sociaux au Centre européen de rééducation du sportif (CERS) de Cap Breton, ajoute que « les répercussions sur le terrain font qu’il n’y a plus de primes d’intéressement ou de participation. Les salariés ne souhaitent plus être cédéisés car ils sont mieux payés en CDD. Les salaires ne sont plus attractifs dans ce secteur. »

 Quid de la qualité des soins ? 

À la recherche de la moindre rentabilité, les acteurs financiers cherchent à prendre le contrôle de l’offre de soins, explique Ève Rescanières : « Ça se traduit par une réduction des ressources allouées aux soins. Les cliniques privées standardisent les traitements, et la priorité est donnée aux interventions les plus lucratives. »

Il n’y a pas de petites économies dans une clinique privée. » Ève Rescanières

Elle ajoute qu'« il n’y a pas de petites économies dans une clinique privée. Quand vous vous faites opérer en ambulatoire, on a l’impression d’aller à la piscine. Vous vous déshabillez dans un vestiaire, mettez vos affaires dans un casier, puis vous attendez dans une salle d’attente déshumanisée ». La militante se désole « On n’est plus dans l’éthique professionnelle avec laquelle on a appris notre métier. »

Selon elle, « pouvoir être opéré, ou avoir une prise en charge aujourd’hui dans des délais courts, relève d’une forme de gageure dans certains territoires. Cela se traduit aussi par plus d’incivilité de la part des patients. »

« La CFDT met le projecteur sur les employeurs et les opérateurs du secteur. Faudra-t-il demain le mettre sur les pouvoirs publics ? », s'interroge la militante.

« Si nous avions eu accès aux comptes consolidés d’Orpea, aurait-on pu éviter un scandale et une crise financière majeure de l’offre de soins médico-sociale ? », se demande Ève Rescanières. De ce fait, la CFDT santé-sociaux est-elle un lanceur d’alerte ? « Bien sûr, assure la cheffe de file de la CFDT santé-sociaux, on est là pour éveiller les consciences ! »

Quatre propositions concrètes de la CFDT santé-sociaux

1. Nous demandons la publication des comptes consolidés au niveau du groupe, de toutes les structures financées par les cotisations sociales des contribuables pour garantir la transparence des fonds publics, et prévenir des dérives financières.
2. Nous demandons aux pouvoirs publics de flécher ses financements.
3. Nous demandons le renforcement du dialogue social et du rôle des syndicats pour qu’ils deviennent un véritable contre-pouvoir capable d’agir en tant que régulateur et lanceur d’alerte.
4. Nous demandons un investissement massif dans le secteur de la santé avec la garantie que cet argent ne finisse pas dans les circuits spéculatifs financiers. Les profits doivent être réinvestis?: si la financiarisation engendre des niveaux de rentabilité élevés, le régulateur public doit récupérer une partie de ces gains pour les réinvestir dans la santé.

Emmanuelle Bodiot

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