Pénurie de personnel de la santé et des soins en Europe : une bombe à retardement

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La pénurie de personnel est une préoccupation de longue date pour la CFDT santé-sociaux. En 2017, la Fédération lançait un projet annuel d’enquête sur les effectifs. Renouvelé en 2018, le projet fut stoppé net avec la pandémie de Covid-19. Les données recueillies du personnel en 2023 montrent que les conditions de travail se sont considérablement dégradées. 

L’objectif de ces enquêtes est de déterminer le nombre journalier moyen de patient·e·s par infirmier·ère ou aide-soignant·e, mais aussi de recueillir des données sur le temps de travail et le ressenti du personnel.

 L’enquête « effectifs » pointe la dégradation du secteur de la santé 

Par rapport aux résultats de 2018, le millésime 2023 met en évidence l'explosion des dépassements d'horaires journaliers, passant de 30 minutes en moyenne en 2018, à environ 1 à 2 heures en 2023. Les témoignages des professionnel.le.s corroborent les données statistiques : les conditions de travail se sont considérablement dégradées et le personnel se trouve en réelle détresse. Les enquêtes « effectifs » dans les établissements de santé et Ehpad, effectuées à nouveau en 2024, seront renouvelées chaque année.

Les conditions de travail se sont considérablement dégradées et le personnel se trouve en réelle détresse »

Pour la CFDT, plusieurs leviers doivent être actionnés afin de contribuer à une meilleure attractivité des établissements de santé et médico-sociaux, ainsi qu’à la fidélisation des salarié·e·s. Il s’agit d’augmenter les rémunérations, mais aussi assurer une évolution de carrière, ou encore améliorer les conditions de travail. De plus, cette crise des effectifs ne frappe pas que la France. La Fédération syndicale européenne des services publics (EPSU) s’est jointe à une douzaine d’organisations de toute l’Europe pour élaborer une stratégie afin de lutter contre la crise mondiale du personnel de santé.

 Résilience des systèmes de santé face aux pandémies 

En 2020, presque 100% des hôpitaux français étaient remplis de malades présentant une seule et même pathologie, le coronavirus SARS-CoV-2. La pandémie s’est traduite en France par quatre vagues épidémiques, au printemps et à l’automne 2020, début 2021, puis pendant l’été 2021. De l’émergence du virus à début septembre 2021, ce sont 460 000 personnes qui ont été hospitalisées, dont 116 000 sont décédées à l’hôpital ou en établissement social ou médico-social, Ehpad compris.

Les personnes ayant travaillé dans des services Covid ont connu des périodes inhabituelles de surcharge de travail. Or, à l’hôpital, l’intensité du travail était déjà élevée avant la crise. Ce bilan est le même pour l’ensemble des pays européens.

 L’Europe : contaminée par le manque de personnel soignant 

Le rapport de l’OMS de 2022 dresse les forces et faiblesses des systèmes de santé que la pandémie de Covid-19 a mis en évidence dans la région européenne. De nombreux États membres ont géré l’état d’urgence lié à la pandémie avec un nombre insuffisant de personnel de santé. Mais le rapport alerte : le vieillissement du personnel du secteur de la santé et des services sociaux constituait déjà un problème grave avant la pandémie, mais il est encore plus préoccupant aujourd’hui. En cause : au vieillissement du personnel soignant vient se rajouter l’épuisement professionnel, contribuant ainsi à une diminution constante des effectifs.

Le vieillissement du personnel du secteur de la santé et des services sociaux constituait déjà un problème grave avant la pandémie »

Le docteur Hans Henri P. Kluge, directeur régional de l’OMS pour l’Europe avertit : « Toutes ces menaces représentent une bombe à retardement qui, si on n’y prend garde, risquent d’entraîner de lourdes conséquences pour la santé partout, des temps d’attente importants avant traitement, beaucoup de décès évitables, voire un effondrement des systèmes de santé. Il est temps d’agir pour remédier aux pénuries de travailleurs de la santé et des soins. »

Les femmes, qui constituent la majorité du personnel de la santé, continuent d’être pénalisées en occupant les emplois les moins valorisés et moins rémunérés, les exposant ainsi à des conditions de travail particulièrement difficiles. Les salaires des femmes, pratiqués dans la santé sont inférieurs à la moyenne des autres secteurs économiques. L’écart de rémunération brut entre les sexes est de 20%, contre environ 12% dans tous les autres secteurs économiques. Par ailleurs, les écarts de rémunération femmes-hommes les plus importants se trouvent dans les catégories socioprofessionnelles les plus élevées.

Les difficultés à remplacer les médecins lorsqu’ils partent à la retraite sont déjà une réalité »

Les pressions liées à la pandémie risquent d’exacerber les lacunes, déjà présentes de longue date : pénuries de travailleurs dans la santé ; difficultés à attirer et maintenir en poste ce personnel ; conditions de travail démotivantes et mauvais équilibre entre vie professionnelle et vie privée. De plus, l’augmentation du coût de la vie depuis 2022 creuse toujours plus les inégalités salariales et l’attractivité du secteur. De nombreux pays de la région Europe signalent qu'environ 52% des travailleurs de la santé se sentent épuisés.

Dans un contexte où le vieillissement du personnel de santé demeure une préoccupation majeure dans toute l’Europe, comment assurer la viabilité de main-d’œuvre ? Les difficultés à remplacer les médecins lorsqu’ils partent à la retraite sont déjà une réalité. L'Italie est en tête, avec près de 60% de médecins de plus de 55 ans. Le manque de personnel infirmier partout dans le monde est un problème récurrent. Même en Norvège, l'un des pays les plus riches d’Europe, l'Organisation norvégienne des infirmières signale de graves pénuries de professeurs dans les écoles d'infirmières.

L’OMS Europe exhorte les pays à agir dès maintenant pour former, recruter et maintenir en poste la prochaine génération de travailleurs de la santé et des soins.

 Les États s’engagent à agir 

En mars 2023, l’OMS Europe organisait une réunion régionale à Bucarest, en Roumanie, où plus de 250 participants de 50 pays adoptaient la Déclaration de Bucarest. Celle-ci appelle à une action en vue d’améliorer l’offre de personnels de santé et d’aide à la personne, à des mesures visant à renforcer leur recrutement et maintien en poste, à une meilleure planification stratégique des personnels de santé et d’aide à la personne, ainsi que des investissements publics plus importants et plus intelligents.

Faisant suite à la déclaration de Bucarest, les représentants des 53 pays, réunis en octobre 2023 à l’occasion de la 73e session du Comité régional de l’OMS pour l’Europe à Astana au Kazakhstan, ont adopté à l’unanimité une résolution

à l’appui d’un cadre d’actions sur les personnels de santé et d’aide à la personne dans la région européenne de l’OMS, pour la période 2023-2030.

À cette occasion, l’EPSU s’est exprimée dans un communiqué : « Les pénuries de personnel, causées par un nombre insuffisant de personnel ou une éducation et une formation inadéquates des professionnels de la santé, créent des conditions dangereuses. Ils causent un stress supplémentaire inutile aux professionnels de la santé déjà débordés. Par conséquent, nous demandons l’élaboration de niveaux de dotation en personnel sûrs et contraignants pour les professionnels de la santé. Nous exigeons que les membres de la région OMS-Europe élaborent des stratégies nationales avec les syndicats et les organisations professionnelles pour remédier à la pénurie de professionnels de santé. »

 L'UE veut faire de la santé une priorité 

Les compétences de l'Union européenne sur la santé publique sont importantes, mais limitées aux questions de santé publique. Le système de santé de l’UE est confronté à des défis de taille, notamment en matière de pénurie de personnel de santé.

En juin 2024, les ministres chargés de l'Emploi, des Affaires sociales, de la Santé et de la Protection des consommateurs de tous les États membres de l'UE ont approuvé un projet de conclusions sur l'avenir de l'Union européenne de la santé : une Europe qui prend soin, prépare et protège. Ils ont également demandé à la Commission européenne de faire de la santé une priorité au cours de son prochain quinquennat.

Une Europe qui prend soin, prépare et protège »

La nouvelle Commission européenne, dirigée par Ursula von der Leyen, a pris ses fonctions ce 1er décembre 2024, et le mouvement syndical européen compte bien poursuivre son travail auprès de la nouvelle Commission pour l’avenir européen de la santé.

La fédération CFDT santé-sociaux a présenté, au comité santé d’EPSU d’octobre 2024, son enquête « effectifs ». L’EPSU, qui considère les niveaux de dotation dans le secteur de la santé, non pas comme une simple question d'aménagement du lieu de travail, mais comme un facteur de risque professionnel potentiel. L’organisme demande d’ailleurs qu’une directive sur les niveaux de dotation sécuritaires protège les travailleurs, comme ils le feraient pour tout autre risque en matière de santé et de sécurité au travail.

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