Covid-19 : Chroniques du terrain (2)

Publié le 06/04/2020

Mulhouse. Témoignage au cœur du désastre.

Photo : Jean-Marc Kelai.

Jean-Marc Kelai est secrétaire de la section syndicale CFDT du GHRMSA (Groupe hospitalier de la région Mulhouse Sud-Alsace). Il est responsable de développement de la CFDT santé-sociaux du Haut-Rhin.

IMG 20190321 154141t

Mardi 24 mars

«  Il y a un manque de matériel criant chez nous. Ce n’est pas possible de rester les bras croisés. On a pris l’initiative de contacter depuis hier des entreprises, notamment de BTP, pour collecter et dispatcher du matériel. Des soignants travaillent sans équipement de base, y compris des techniques et des services supports. Les brancardiers circulent aussi partout, alors qu’ils transportent des patients Covid, ou doivent malheureusement emmener à la morgue des patients décédés du Covid. 

— Comment ça se passe à la morgue  ?

— Ils sont overbookés. Tu as des fois des files d’attente des pompes funèbres. Psychologiquement, les gens sont à bout, confrontés constamment à des cas très lourds et à des décès. 

— Tu es en lien avec la direction  ?

— Ces derniers jours, ils ont été pris par l’installation de l’hôpital militaire, sur le parking dédié aux agents. C’est un hôpital qui va accueillir 30 lits de réa. Ils vont transporter les cas les plus stabilisés afin de continuer leur surveillance, de manière à ce qu’on récupère des lits de réa pour accueillir les nouveaux patients qui arrivent chaque jour en nombre, chaque jour en nombre… 

« On récupère des lits de réa pour accueillir les nouveaux patients qui arrivent chaque jour en nombre, chaque jour en nombre… » 

On a un peu plus de 90 lits de réanimation. Comme on est frontaliers de l’Allemagne et de la Suisse, ils ont proposé leur aide et vont prendre des patients. La semaine dernière, on a eu 6 transports de patients par convoi militaire à l’hôpital militaire de Toulon. Samedi dernier, une vingtaine ont été envoyés en Nouvelle-Aquitaine. Avant ces transports par l’armée, on avait beaucoup de transports par hélicoptère vers Strasbourg et Colmar. Une fois qu’ils étaient saturés, des patients sont partis à Nancy. On est saturés, et ça n’arrête pas.

— Comment s’organise la réserve sanitaire  ?

— Les étudiants en Ifsi ont été réquisitionnés pour venir sur les fonctions d’aides-soignants, pas forcément dans des unités dédiées au Covid, par exemple dans les Ehpad. D’anciens médecins urgentistes qui avaient quitté Mulhouse sont revenus en renfort, et des généralistes.

— Comment ça se passe dans les Ehpad  ?

— Le soir, il n’y a pas d’infirmières dans les Ehpad. Psychologiquement, c’est compliqué de voir des patients en train de partir, qui ne peuvent plus être placés en réa, et puis les familles ne peuvent pas venir. Alors ce sont des patients qui meurent seuls. Qui meurent seuls, qui ne sont pas accompagnés par leur famille, par leurs proches. Psychologiquement, pour les soignants, c’est troublant, c’est marquant. 

— Combien de professionnels sont contaminés  ?

— Hier, j’ai appris que deux agents de réa sont touchés, et d’autres dans des services techniques. On a eu la semaine dernière un patient de 26 ans, sans problème de santé autre particulier. Ça touche maintenant tout le monde.

L’accès à l’hôpital est très surveillé, avec des vigiles. C’est une atmosphère très particulière.

Le bilan se fera par la suite. Maintenant, on est dans l’urgence, mais après, il y aura un sacré bilan à faire. »

 

« Je tiens encore à dire un grand merci aux personnels de l’hôpital, qu’ils soient soignants, techniques, administratifs… qui se dévouent corps et âme. Il y a un temps pour la solidarité, mais après la crise, la CFDT veillera à ce que l’effort collectif soit reconnu à sa juste valeur. » J.-M. Kelai

 

Vendredi 3 avril

« Ces trois derniers jours, il y a eu une réduction de l’arrivée aux urgences. C’est une note positive, mais à prendre avec grande prudence. On a pu libérer des lits parce qu’on a transféré des patients : une vingtaine sont partis en Nouvelle-Aquitaine. Une équipe de médecins et d’infirmiers venue de Bordeaux vient en renfort pendant une semaine. 

Il y a une vingtaine de professionnels hospitalisés, dont quatre en réanimation. texto jmc

Les entreprises ont été sollicitées pour récupérer du matériel de protection pour le service, et le département. J’en ai aussi donné à Patricia Hacquard, secrétaire de la CFDT santé-sociaux des Vosges, qui m’avait appelé. »