Pour les salariées de la santé, la réforme des retraites 2023 est intenable

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Jeudi 6 février, Marylise Léon, cheffe de file de la CFDT, et Ève Rescanières, secrétaire générale CFDT santé-sociaux, se sont rendues à la Bourse départementale du travail de Bobigny, pour échanger avec des travailleuses militantes du secteur de la santé privée. L’objectif ? Porter au plus juste la voix des salariées dans les débats sur les retraites. Des témoignages qui en disent long sur la pénibilité de leur travail.

Marylise Léon, secrétaire générale CFDT, et Ève Rescanières, secrétaire générale CFDT santé-sociaux échangent avec les salariées du secteur de la santé privée. © Emma Bodiot

Le dossier des retraites est rouvert. Une concertation de trois mois va démarrer prochainement entre gouvernement, patronat et partenaires sociaux. Les discussions trouveront-elles une issue plus favorable aux travailleuses de la santé ? La secrétaire générale de la CFDT a clairement exposé la position de son syndicat à la presse : la première des priorités est de baisser l’âge légal de départ à la retraite ; d’« obtenir la reconnaissance de la pénibilité de certains métiers » ; et enfin de « réparer l’injustice faite aux femmes par le report de l’âge légal ». Le 6 février à la Bourse départementale du travail de Bobigny, Marylise Léon et Ève Rescanières ont pu échanger avec des salariées du secteur de la santé privée en Seine-Saint-Denis sur leurs conditions de travail.

 Des structures à but très lucratif 

Hasna est auxiliaire puéricultrice depuis vingt ans dans un hôpital du groupe Ramsay Santé, au sein du service néonatologie. Depuis quelques années, elle n’a « plus l'impression de travailler dans un hôpital, mais dans une entreprise à but très lucratif ». D’ailleurs, la direction n’y va pas de main morte en matière de restrictions budgétaires. C’est d’abord dans la masse salariale que les structures privées économisent : « Tous les matins, la direction appelle pour savoir quel est le nombre de bébés en soins intensifs, le nombre de soignants présents, ainsi que les bébés qui sortent de l’établissement. Si on est trop nombreuses, on nous dit de ne pas venir le lendemain, de prendre des jours de repos. »

Hasna n'a « plus l'impression de travailler dans un hôpital mais dans une entreprise à but très lucratif ».

 

La direction explique au personnel qu’il faut gagner de l'argent. Mais pour elle, sa « vocation, c'est le soin à la personne ». Hasna se demande « comment ils vont réduire encore la masse salariale alors qu’on n’est pas assez nombreuses ».

En matière de dégradation des conditions de travail, Kameria, aide-soignante chez Clariane depuis vingt-deux ans, a vu la société se transformer. « On est passés de soignants à commerçants. On ne parle plus de patients, on parle de clientèle, on ne parle plus de soins, mais de coûts. »

« On est dans le lucratif pur et dur, c'est devenu invivable. Il y a 86 résidents et nous sommes trois de nuit pour quatre étages : nous devenons médecins, infirmières, psychologues pour tout faire la nuit. S’il y a un problème, c'est de la faute de l'équipe de nuit », détaille une infirmière en Ehpad de nuit qui travaille depuis vingt-six ans chez Eovia. 

Faire partir les anciennes, c’est aussi maîtriser la masse salariale. » Ève Rescanières

 

Pour Ève Rescanières, le constat est le suivant : « Faire partir les anciennes, c’est aussi maîtriser la masse salariale. Malheureusement, on fait partir le savoir, l’expérience. »

 Pénibilité : un enjeu majeur des retraites 

« On doit pousser des couveuses, pousser des sacs de linge, les mettre au sale », se plaint l’auxiliaire puéricultrice. Il y a encore quelques années, ces tâches ne lui incombaient pas. Quant à la pénibilité de la posture, « on est toujours debout, car on travaille au niveau des couveuses. On tient les bébés, on leur donne le biberon toujours du même côté. »

Les patients, quand les soignantes doivent les aider à se lever, faire leur toilette, représentent une charge lourde qui n’est pas relevée dans les critères de pénibilité. L’infirmière en Ehpad de nuit témoigne : « Avant, il n’y avait pas tout ce matériel, il fallait soulever les résidents à bout de bras. Quand on est jeune, ce n’est pas un problème, mais quand on a 50 ans, on est brisées. »

Aide-soignante chez Clariane depuis vingt-deux ans, Kameria travaille dans un service EVC, pour état végétatif chronique, « où les patients sont dépendants à 200% des soignants. C’est une responsabilité énorme sur des journées de 12 heures », qui repose sur ses épaules, sans compter qu’elle travaille souvent les week-ends et jours fériés. La charge mentale est lourde « parce qu’on gère aussi celle des familles ». Attristée, elle ajoute : « On préparait la retraite d’une collègue : elle est décédée d’une attaque juste avant son départ. »

la charge mentale, c’est le stress qu'on absorbe, celui des familles, leurs angoisses, leur colère, leur agressivité… Tout passe par nous. » Hasna, auxiliaire puéricultrice

 

Pour Hasna, la charge mentale, « c’est le stress qu'on absorbe, celui des familles, leurs angoisses, leur colère, leur agressivité… Tout passe par nous. » Mais c’est aussi le déroulement de la journée et les imprévus qui s’y greffent : « La collègue malade qu'on remplace, les changements d’emploi du temps, une famille qui reste tard, celle qui arrive tôt pour voir le médecin… » Dans ces cas de figure, dans quelle case met-on cette pénibilité, cette charge invisible difficile à quantifier ?

Pour ces travailleuses du soin, augmenter de deux ans l’âge légal de départ à la retraite, est une réelle épreuve. « Comment peut-on tenir jusqu’à 64 ans ? se demande Hasna. Parfois, notre état physique et mental est encore plus dégradé qu’un patient qui a approximativement le même âge que nous. »

 Attractivité : un secteur en berne 

Toutes les soignantes constatent une désertification du secteur de la santé privée. Bas salaires, amplitudes horaires trop longues. Après la crise Covid, « de nombreuses collègues ont changé de métier », déplore Hasna. « Et dernièrement, à la suite d’un changement de référente, pratiquement toutes les soignantes ont démissionné et seulement quelques anciennes sont restées. Maintenant, c'est un turnover de vacataires de jeunes infirmières parce qu'elles gagnent plus d'argent avec ce statut, et qu’elles peuvent mieux articuler vie professionnelle et personnelle. »

C'est un turnover de vacataires de jeunes infirmières parce qu'elles gagnent plus d'argent avec ce statut. » Hasna, auxiliaire puéricultrice

 

C’est donc sur les anciennes que repose le travail le plus lourd. Tous les jours, elles doivent réexpliquer à nouveau aux nouvelles, et c’est une charge mentale supplémentaire. « La néonatalité est très spécifique : il faut savoir perfuser un bébé, s’occuper d’un prématuré, explique l’auxiliaire de puériculture. On se retrouve avec de jeunes infirmières qui ne connaissent pas vraiment ce travail. »

 Équilibre vie personnelle - vie professionnelle 

Pour ces soignantes qui travaillent en horaires flexibles, c’est compliqué de trouver un équilibre : « On vit plus au travail qu’à la maison, » explique la soignante en Ehpad. « Quand on travaille de nuit, on doit s’occuper de la maison en rentrant et parfois, on n’est pas couchées avant 15 heures. »

Une fois de plus, c’est la charge mentale qui s’impose à ces professionnelles du soin : « Quand on rentre chez nous, explique Kameria, on arrive avec tout notre bagage de travail. Je défie toute soignante qui laisse tout son travail au vestiaire quand elle rentre chez elle. Souvent, c’est un coup de fil d’une collègue qui a besoin d’infos, ou moi qui rappelle car j’ai oublié de noter une consigne. »

Quand on rentre chez nous, on arrive avec tout notre bagage de travail. » Kameria aide-soignante

 

Et le congé parental ? Kameria travaille sur des amplitudes horaires de 12 heures, payées 10. « Cela pousse les femmes à prendre du congé parental, qu’on ne prend pas par plaisir, puisqu’on ne peut pas faire ce travail quand on a des enfants. »

Tous ces sujets, la CFDT compte bien les porter haut et fort lors de la reprise des concertations sur la réforme des retraites, qui devrait enterrer le texte promulgué le 14 avril 2023. Car pour la CFDT, la retraite à 64 ans, c’est toujours non !

Emmanuelle Bodiot

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