
Congrès de Niort : paroles de militant·es européens et internationaux
Militant·es européens et internationaux ont été conviés au 35e congrès de Niort, en juin 2025, par la CFDT santé-sociaux. Étaient présents Baba Aye de PSI, Paola Panzeri de l’Epsu, Giordana Pallone de la FP CGIL, et Razvan Gae, de l’Epsu et de la Fédération Sanitas de Roumanie. Ils ont, à travers leurs discours, donné un éclairage sur les difficultés des travailleurs et sur leur action militante, en Europe et à l’international. Extraits.

Baba Aye, responsable des services santé et sociaux, PSI

« Tout d’abord, la pandémie de Covid-19 a redéfini l’histoire en creusant inégalités sociales et économiques. Les prises de décision du patronat et de l'État contre la classe ouvrière sont devenues plus brutales : coupes dans les salaires, augmentation de l'âge de départ à la retraite, violations persistantes des principes et des droits fondamentaux au travail.
Grandes entreprises et super-riches contournent le système pour ne pas payer leur juste part d'impôt. Un demi-billion de dollars sont perdus chaque année dans les paradis fiscaux : c'est assez d'argent pour plus que doubler le nombre d'infirmières dans le monde, par exemple.
Le travail atypique est devenu une nouvelle norme pour nombre de travailleurs. Pour limiter leur pouvoir, des pays ont mis en place des lois antisyndicales, comme la limitation du droit de grève en Grande-Bretagne, ou encore en Italie.
Racisme et xénophobie sont attisés par les partis d'extrême droite du monde entier. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, ces partis sont au pouvoir en Europe. Jair Bolsonaro au Brésil, et maintenant Javier Milei en Argentine et Donald Trump aux États-Unis.
La crise climatique atteint un tournant critique. Alors que les activités économiques, stimulées par l'industrie des combustibles fossiles, ont conduit à un dépassement de la limite de 1,5°C, fixée par l'Accord de Paris, les dirigeants agissent comme si de rien n'était.
Alors que des guerres et des conflits secouent l'Ukraine, Gaza, le Soudan, le Yémen et la République du Congo, on estime qu'1 demi-million de personnes sont mortes à cause des guerres et 5 millions de décès liés à la faim, au cours des cinq dernières années.
Lors des 30e et 31e sessions du Congrès mondial de l'ISP, nous nous sommes engagés à lutter pour que les travailleurs passent avant le profit. Cela est enraciné dans la vision d'un monde meilleur, où règnent pour tous les travailleurs : justice sociale, droits démocratiques, inclusion, égalité des sexes, dignité pour tous et travail décent.
L'accès universel à des services publics de qualité est essentiel à l'édification de sociétés inclusives et démocratiques.
Nous soutenons nos membres en première ligne dans les luttes contre la privatisation, la répression de l'État et la marginalisation des travailleurs. Nous renforçons les capacités des affiliés en matière de négociation collective et de dialogue social. Nous portons la voix des travailleurs dans des organisations telles que l'OMS, où nous avons contribué à façonner le traité sur les pandémies au cours des trois dernières années ; l'Organisation internationale du travail (OIT), où nous avons été à l'avant-garde de l'enquête mondiale sur l'économie des soins et avons dirigé la réunion tripartite sur l'amélioration de l'emploi et des conditions de travail dans le secteur de la santé ; et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Nous construisons ce pouvoir en forgeant des alliances et en construisant des coalitions avec les organisations de la société civile concernées. Et surtout, nous construisons ce pouvoir, non pas en agissant au nom de nos affiliés, mais en tant que fédération syndicale mondiale dirigée par ses affiliés. »
Paola Panzeri, secrétaire générale adjointe, EPSU

« Nombreux sont ceux qui remettent en question notre travail, notre rôle et notre existence. On nous dit que nous allons trop loin, que nous croyons en un monde qui n'existe pas. Dans ces moments-là, il faut se serrer les coudes et être clairs avec nos valeurs. Nous sommes fiers d'être féministes, fiers de nos identités, fiers d'être des alliés et solidaires de celles et ceux qui sont confronté·es à la discrimination et la combattent.
Les femmes sont toujours payées 17% de moins que les hommes. Les salaires les plus bas sont prédominants, là où les femmes exercent, avec des conditions de travail moins bonnes. Nous sommes davantage victimes de violence, et ce, dans de nombreux pays européens. Nous ne sommes pas toujours libres de décider de notre propre corps. De même, les crimes racistes et anti-LGBT sont en augmentation dans toute l'Europe.
Les travailleur·euses des services publics sont confronté·es à des négociations salariales bloquées, à une dégradation des conditions de travail et à un sous-financement aggravé par des politiques d'austérité. Rappelons-le, les soins sont et doivent rester un droit universel, pas une marchandise.
L'austérité et la déréglementation ne nous sortiront d'aucune crise, elles ne feront que l'aggraver. Je tiens d'ailleurs à saluer votre travail avec le Cictar pour l'enquête sur le groupe Ramsay Santé, qui utilise l’argent des fonds publics à des fins de spéculation immobilière.
Au niveau de l'Union européenne, on déguise la déréglementation en simplification avec des propositions visant à miner les freins et les contrepoids, les contrôles et les dispositions qui permettraient à l'Europe d'aller de l'avant de manière plus équitable et durable. La Commission européenne les appellent "paquets Omnibus" et cherche à modifier des lois pour privilégier les intérêts des entreprises au détriment de la durabilité, de la responsabilité et des droits des travailleur·euses.
La Confédération européenne des syndicats (CES) a œuvré au prochain programme de travail du dialogue social avec les employeurs. Nous demandons d'y inclure une renégociation de l’accord de 2007. L’époque a changé et nous devons inclure de nouvelles formes de violence à l'encontre de nombreuses travailleuses, comme la cyberviolence. Nous souhaitons apporter des solutions, comme un congé d’absence rémunéré, pour les victimes de violence domestique, déjà adopté par plusieurs pays.
Dans le secteur de la santé, Eurofound montre que 23 % des travailleuses de la santé de l'UE "ont subi au moins une forme de comportement social négatif au cours des 12 derniers mois de travail". Un sondage réalisé aux Pays-Bas a révélé que plus de 50 % des professionnelles de santé ont été confrontées à une forme d'agression au moins une fois par mois en 2023 : jurons, cris, crachats, menaces de mort et violence physique. Dans le secteur de la santé mentale, les chiffres sont encore plus élevés : 67 % des personnes interrogées ont été victimes d'une agression en 2023, soit davantage que les années précédentes. Il était donc urgent de renégocier ces points avec les employeurs.
Une autre victoire a été la signature, dernièrement, de l'orientation politique conjointe pour construire un secteur hospitalier et sanitaire européen résilient, signée par l'EPSU et Hospeem. Les partenaires sociaux s'engagent à élaborer des mesures visant à réduire les pénuries de personnel. D'ailleurs, l'un des membres de l'équipe de négociation était issu de votre Fédération.
Nous devons continuer à nous battre pour l'investissement dans nos services publics, pour l’égalité salariale et pour des lieux de travail sûrs pour toutes et tous.
Ces combats valent la peine d'être menés, pour nous et les jeunes générations, car chaque millimètre cédé est un pas en arrière, et si nous ne combattons pas aujourd'hui, c'est un droit que nous commençons à perdre et qui sera plus difficile à reconquérir demain.
Enfin, un mot de solidarité pour celles et ceux qui sont victimes des atrocités de la guerre. Continuons à appeler à la paix de l'Ukraine à l'est du Congo, en Palestine et à Gaza.
Camarades, en ces temps où les idéologies et les méthodes fascistes se développent dans le monde entier, nous devons haïr les indifférents, être des résistants. Nos corps et nos identités ne sont pas à débattre. Aujourd’hui je ne peux que conclure : Femmes, vie, liberté ! »
Giordana Pallone, secrétaire nationale de la FP CGIL

« Nous avons tous un problème, en Italie, en France, en Europe et partout dans le monde, car, pendant trop d'années, les gouvernements ont ignoré les conséquences sociales des crises économiques, qui sont devenues systémiques. Dans ce contexte qui accroît les inégalités, génère de la peur et la solitude, l'extrême droite a trouvé un terreau fertile pour grandir. Nous, syndicats, ne pouvons que nous opposer au consensus croissant de l'extrême droite. Vous l'avez fait en France, comme nos camarades le font actuellement aux États-Unis en s’opposant à Donald Trump, et nous aussi en Italie.
Les relations entre gouvernements et organisations syndicales en Italie ont toujours été fluctuantes, mais n’ont jamais remis en question nos différents rôles, responsabilités dans le cadre de règles communes. L’actuel gouvernement italien nie le rôle des syndicats et ne pratique pas le dialogue social. Il organise des réunions d'information sur des mesures qui ont déjà été décidées. Il tente de priver la négociation collective, comme dans le secteur public, où il ne fournit pas les ressources nécessaires aux conventions collectives nationales, indispensables à l'augmentation des salaires, affaiblis par le taux d'inflation.
Le gouvernement italien adopte des mesures qui répriment la dissidence, réduisent tout espace d'expression de l'opposition, allant jusqu'à remettre en question le droit de grève.
Il conduit une politique de privatisation progressive des services publics, comme dans la santé : nous avions un système public universel reconnu comme l'un des meilleurs au monde, qui donnait accès aux soins gratuits pour tous. Ils l'ont démantelé en réduisant les ressources pendant des décennies pour promouvoir un système privé, accessible à ceux qui ont les moyens de se soigner, quand les autres attendent des mois, voire des années.
Quels leviers d’action pour les syndicats ? Nous nous opposons quotidiennement lors des négociations collectives, dans les luttes pour les ressources des services publics, pour des salaires équitables, dans la lutte contre les guerres et pour la démocratie.
La FP CGIL promeut la participation démocratique car nous sommes convaincus que c'est la seule façon de vaincre l'extrême droite qui se trouve au gouvernement. Nous allons de lieu de travail en lieu de travail, bureau par bureau, hôpital par hôpital, rue par rue et maison par maison, pour convaincre les gens que ce qui arrive à leur voisin les affecte et que ce n'est qu'en luttant ensemble, ceux qui ont besoin de travailler pour vivre, que l'on peut construire une société où la justice sociale existe. »