Covid-19 : Chroniques du terrain (1)

Publié le 02/04/2020

Pour documenter la catastrophe sanitaire et préparer le prochain Multiple, nous recueillons des témoignages du terrain depuis le 16 marsNous vous proposons dès maintenant des extraits.

Photo ci-dessus : Georges Gomes. Photo ci-dessous : Stephan Garrec.

Vendredi 27 mars

Entretien avec Stephan Garrec, auxiliaire de vie sociale. Il travaille à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) pour l’Association de gestion des aides aux familles et aux personnes âgées (Agafpa). D’anciens mineurs de Gréasque ont fondé le foyer logement à l’origine de l’association, qui a développé par la suite des activités à domicile.

«  Je connais très mal ton métier…

— C’est toute l’aide qui ne relève pas du soin pur pouvant être apporté chez elle à une personne en perte d’autonomie. Mais l’auxiliaire de vie sociale peut aider aux soins : pour mobiliser une personne avec un soignant, par exemple. On a généralement un ordre de mission donné par le financeur à notre employeur, et on s’adapte aux besoins quotidiens.

J’ai même eu droit à un : « Vous n’êtes que des civils. »

— Comment se réorganise l’activité en ce moment  ?

— Actuellement, on recentre les besoins : pour ce qui est de l’entretien du logement, c’est allégé. On est censés permettre aux personnes en perte d’autonomie de continuer à rester chez elles, donc il ne faut pas que ce soit un taudis, mais on se concentre sur les actes indispensables. Le plan de continuité de service a été demandé il y a deux semaines. À côté des missions financées, certaines associations interviennent auprès de personnes qui « payent plein pot », pour des prestations de confort. Ce sont les premières interventions que nous avons cessé d’honorer. Il y a entre 50 et 60 % de baisse d’activité. Entre les personnels qui gardent leurs enfants, et ceux potentiellement à risque, car âgés ou de santé fragile, la moitié du personnel est en activité. 

— Y a-t-il des usagers ou du personnel contaminé  ?

— Aujourd’hui, on n’a aucun résident ni bénéficiaire contaminé et le personnel de l’Ehpad est au complet. 

— Qu’en est-il du matériel de protection  ?

Photo : Stephan Garrec

— C’est la misère. On a à peu près du gel hydroalcoolique et des gants, car on est adossés à deux services de soins infirmiers à domicile. Pour les masques, nous ne sommes pas prioritaires. J’ai même eu droit à un : « Vous n’êtes que des civils. » Sur Gardanne, un lycée professionnel s’est mis à produire des masques à base de chutes de tissu, de filtres à café, qu’ils fournissent à l’association.

— Tu es délégué syndical. Quelles sont les difficultés rencontrées par les professionnels  ?

— Les collègues me font part d’un mal-être encore plus grand que d’habitude : ils vont par exemple chez des gens en grande perte d’autonomie, et ils sont refoulés par peur de la contamination. Je fais connaître le service Pros-Consulte [et sa plateforme d’écoute par des psychologues].

Je transmets les informations de la direction aux collègues, car l’encadrement intermédiaire est confiné et ne relaie que très partiellement l’info. C’est pourtant un moment où les gens ont le plus besoin d’être rassurés. 

Concernant la paie, on est souvent sur des contrats à temps partiel et en modulation. Les associations étant payées à l’acte réalisé, la paie est décalée : vers le 10 avril pour le mois de mars. Ça s’annonce compliqué… 

— Comment réagissent les bénéficiaires  ?

— Il y a une tension. Il y a deux jours, j’étais chez une dame de 105 ans qui entend très mal et ne voit quasiment plus. Je vois qu’elle n’a pas le moral, pas d’appétit. Je m’assieds à côté d’elle, et avant même que je lui pose la moindre question, elle dit : « Et alors, il se balade toujours dehors, ce cosinus  ? » Ce midi, je lui expliquais que c’était contagieux et potentiellement grave. Son fils de 80 ans reste chez lui, elle n’a pas l’habitude de cela. 

« Et alors, il se balade toujours dehors, ce cosinus  ? »

Je pense aussi à un ancien de la guerre d’Espagne… Bien souvent, il s’endort à moitié dans son fauteuil quand j’arrive. Ça fait deux vendredis de suite, quand je viens, il ne se pose pas, il déambule dans sa maison. Les chaînes d’infos sont allumées et il attrape des trucs au vol… C’est une part du boulot de rassurer sans mentir, sans atténuer la réalité. 

Une autre dame de 70 ans me demande à la fin de l’intervention si je peux remplir des dérogations pour qu’elle puisse aller acheter son pain comme d’habitude… Mais elle était très pressée que je parte. Il y a de la pédagogie à faire aussi.  »