SD 54, de génération en génération

  • Nos structures sur le terrain

Patricia Lecot, secrétaire générale départementale CFDT santé-sociaux de Meurthe-et-Moselle, vient de passer la main à Raphaël Zimmer le 16 septembre 2025. Pour celle qui vient d’achever son troisième mandat, le renouvellement générationnel était la condition sine qua non pour faire perdurer la CFDT et porter de nouvelles dynamiques. Portraits croisés.

Patricia Lecot, le militantisme pour mission

Patricia Lecot a été, durant trois mandats, secrétaire départementale du SD 54. Elle vient de confier les clés à Raphaël Zimmer, lors du dernier congrès départemental, le 16 septembre 2025.

Patricia Lecot porte ses trois mandats avec fierté. Son fil rouge ? L’émancipation, qu’elle a d’abord appliqué à elle-même, puis à son équipe, à qui elle a insufflé l’autonomie. Cette femme engagée a porté toute sa vie le combat syndical, qui lui a permis d'affirmer ses idées et de batailler contre les inégalités. Propulsée très jeune dans le monde du travail, elle quitte l'école trop tôt, sans diplôme, parce qu’elle se retrouve enceinte à 15 ans : « Devenir mère à 16 ans, ça te fait tout de suite la petite bonne femme. Très tôt, il a fallu que je me batte contre des employeurs. Quand tu es petite par ta taille et ta profession, il faut crier fort pour se faire entendre. »

Le militantisme pour mission

Dans les années 2000, Patricia Lecot est agent de service hospitalier (ASH) à l’hôpital d’enfants de Nancy. À peine arrivée, elle discute les ordres. « Mon père était militaire de carrière, donc j'exécute ce qu’on me dit de faire, si ça a du sens. » Dotée d’un caractère « retors », selon ses propres mots, elle donne du grain à moudre à sa hiérarchie, qui menace de ne pas la titulariser.

Stéphane Maire, responsable du syndicat CFDT santé-sociaux du CHU de Nancy, lui vient en aide et trouve les bonnes paroles. « À ce moment-là, j’ai compris que je voulais faire ça : défendre mes collègues puisque, en tant qu’ASH, nous étions humiliées et pas reconnues par notre hiérarchie. » Une puéricultrice de son service lui propose d’adhérer à la CFDT, alors qu’elle avait intégré le monde professionnel depuis à peine un an.

Elle intègre ensuite le CHU adultes. « J’étais plus considérée, mes idées étaient enfin entendues : en matière d’alimentation par exemple, j’avais contacté un rabbin pour les pratiquant·es de confession juive, ou encore lancé l'idée d'un menu pour les musulmans car on ne leur proposait que des œufs en remplacement du porc, c'était aberrant. » Elle prend des heures de détachement pour aller bosser avec l’équipe au local syndical. Elle milite, passe dans les services, traite les dossiers, devient titulaire au CHSCT, prend la parole auprès des cadres et directeurs.

Syndicalisme départemental

Bien campée dans sa mission de militante, elle souhaite rencontrer le syndicat départemental et contacte Béatrice Bochnak, qui, à l'époque, en est la secrétaire générale. Patricia participe au congrès, à différentes réunions, élargit ses connaissances... De nouvelles envies naissent.

En 2010, entrevoyant le potentiel de Patricia Lecot, Béatrice Bochnak lui propose de la remplacer. « Au CHU, j'avais déjà milité dix ans, je commençais à tourner en rond, entre les tracts et le CHSCT. L’envie de m'affirmer était là ». Elle franchit le pas en 2013. « J'ai été élue sans aucune connaissance, sans tuilage, avec une équipe déjà en place qui n’était pas la mienne. Béatrice est une femme de poigne, je suis tout le contraire : si je ne comprends pas, je le dis. » Au début, son équipe craint qu’elle n’y arrive pas. « Moi-même j’aurais pris peur à leur place, parce que je ne savais rien, pas même allumer un PC. » Elle épluche tous les documents, participe à des formations. 

Son premier mandat est très inconfortable. Le deuxième est bien plus passionnant, elle est impliquée totalement, comprend plus de choses. Le dernier sera celui de la sérénité : « Même si c’est toujours la bataille, j’étais vraiment à l’aise sur tous les sujets. »

Développer les sections

Patricia et son équipe ouvrent et développent des sections, comme celle de l’hôpital de Lunéville, d’où est issu Raphaël Zimmer. La secrétaire générale départementale reprend la main sur toutes les sections. Elle fait fermer celles qui ne tournent pas comme il faut. Certaines d'entre elles avaient des comptes en banque, c’est strictement interdit. « J’ai remis l’église au milieu du village », comme elle aime le rappeler.

Négociatrice hors pair

Elle accompagne les personnes dans le privé lors des NAO ; négocie des protocoles préélectoraux, des primes, plus de postes avec les directeurs, particulièrement dans le privé, mais aussi dans le public ; elle élabore l’enquête ASH... Patricia Lecot et Rémi Donnot, pilier de l’équipe, créent une commission Ehpad portant sur des cahiers revendicatifs (augmentations, recrutement de personnel, donner dignement à manger aux résidents...), destinés à l’ARS. Au sein d’un Ehpad, « on a également fait partir le directeur de Korian, avec perte et fracas, il était maltraitant avec le personnel et ne donnait jamais d'augmentation. »

Elle négocie l’intégralité d’une prime de risque pour les infirmiers d’un hôpital public. « Le directeur avait négocié oralement une demi-prime avec la secrétaire de section CFDT, n’ayant soit-disant pas le personnel comptable suffisant pour verser l’intégralité de la somme. De peur que les salarié·es n’obtiennent rien du tout, la secrétaire de section avait acté en l’état. Quelques temps après, elle vient me dire que les infirmières réclament l’intégralité de leur prime. Heureusement, rien n’avait été signé. J'appelle le directeur, qui me confirme le deal oral avec la CFDT. Je lui explique que je suis la secrétaire générale départementale et qu’il doit verser l’intégralité de la prime dans les plus brefs délais, sans quoi le litige se résoudra devant les tribunaux. Ça n’a pas traîné, la prime a été entièrement versée. »

Avec le directeur d’un Ehpad privé, sur un « malentendu », elle arrive à négocier sur tous les points. « Un jour, je frappe à la porte de son bureau, m’assieds. nous discutons de choses et d’autres, quand je vois une femme sortir du placard. J’ai immédiatement pensé que c'était sa maîtresse. Dès lors, à chaque fois que j'y allais pour négocier, il versait les primes aux salarié·es sans délai. Il disait toujours oui. Cette histoire de placard doit y être pour beaucoup. »

Mais c’est le Ségur qui reste sa plus grande victoire. En 2020, Patricia Lecot est aussi conseillère fédérale. « Lors des négociations du Ségur, Ève Rescanières, la secrétaire générale, nous tenait au courant tout le temps, en visioconférence. J'ai admiré sa manière de ne pas baisser les bras. »

Renouvellement générationnel

Laurent Berger disait : « Les jeunes ont des idées, laissons-les faire ! » Un point de vue auquel elle adhère complètement. « J’ai prononcé un discours sur le renouvellement générationnel, parce qu’il nous faut des jeunes pour faire perdurer la CFDT. Chaque fois que je me déplace en réunion, il n’y a que des vieux, il faut laisser la place aux jeunes. »  Quand elle rencontre Raphaël Zimmer, il pose des questions pertinentes. Elle a en tête des projets pour lui, alors qu’il est simple militant à sa section de Lunéville. « Il parlait déjà de santé mentale. » Elle va droit au but : « j'ai besoin de toi, je ne suis pas éternelle. Ce garçon est intéressant et intéressé. Je reste ici encore deux ans, en tant que secrétaire adjointe, pour tuiler Raphaël, mais je sais déjà qu’il n’aura pas besoin de moi longtemps. »

Bilan d’une combattante

Lors du dernier congrès départemental de Meurthe-et Moselle, ils étaient 95 pour célébrer Raphaël Zimmer, nouveau secrétaire général départemental, et pour ovationner Patricia Lecot qui passe la main : « J’ai enfin compris qu’ils avaient du respect pour moi. Je suis fière, j'ai une belle équipe, on a porté tous ces combats ensemble, grâce à eux. »

Raphaël Zimmer : mission santé mentale

Raphaël Zimmer vient d'être élu secrétaire général départemental du SD 54. Il succède à Patricia Lecot, qui a effectué trois mandats.

Santé mentale, QVCT, transition écologique... En reliant ses thèmes de prédilection, Raphaël Zimmer, nouveau secrétaire général départemental de Meurthe-et-Moselle, entend donner un nouveau tempo à la CFDT santé-sociaux.

En 2022, ce futur syndicaliste exerce en tant que préparateur en pharmacie hospitalière. À la suite d’un problème relatif à son contrat de travail, il fait appel à la CFDT qui lui vient en aide. Vite repéré par le syndicat, il accepte de s’inscrire sur la liste des élections professionnelles à venir. La section CFDT santé-sociaux, qui vient d'être créée au CHU de Lunéville, obtient neuf sièges sur dix... des résultats prometteurs. Il fait la connaissance de Patricia Lecot à la formation ANA, destinée aux nouveaux adhérents : « Son credo étant le renouvellement générationnel, elle voulait quelqu’un de jeune pour la remplacer. » 

QVCT et santé mentale

Il commence son militantisme en tant que référent QVCT au niveau du département, à la suite d’une formation délivrée par le syndicat. Une thématique qui lui permet de relier la santé mentale au monde du travail. Pour lui « Les conditions de travail doivent permettre de disposer d’un cadre serein dans lequel on évolue professionnellement, ce qui lie, de fait, les deux sujets ». Il aime citer cette phrase de l’OMS : « Il n’y a pas de santé sans santé mentale, et il n’y a pas de santé mentale au travail sans conditions de travail dignes ». Selon lui, ce sujet doit devenir une revendication syndicale, en vue de faire évoluer les mentalités.

Les chiffres alarmants de la santé mentale

Raphaël Zimmer tire la sonnette d’alarme en rappelant les chiffres alarmants en termes d’impact sur la santé mentale des travailleurs qui exercent leur métier dans des conditions dégradées : 
- 42% des salarié·es se retrouvent en détresse psychologique, tous salariés confondus, soit près d’une personne sur deux en souffrance au travail ;
- un salarié sur cinq de moins de 35 ans a déjà démissionné à cause de son état de santé mentale. C’est quasiment deux fois plus que les cinquantenaires. Les jeunes sont d’ailleurs plus touchés, la plupart des troubles psychiques se développant à l’adolescence et avant l’âge de 25 ans ;
- un suicide sur dix est lié, de près ou de loin, à des origines professionnelles ;
- la santé mentale a également un coût : 23 milliards d’euros, incluant l’ensemble de la charge des troubles psychiques (arrêts maladie, traitements, médicaments…) sont dépensés chaque année par l’Assurance maladie.

Formation aux premiers secours en santé mentale

Le secrétaire général départemental délivre également une formation aux premiers secours en santé mentale (PSSM), indépendamment de la CFDT. Il s’agit de savoir repérer chez une personne des changements de comportement qui peuvent être liés à la dépression, troubles anxieux, psychotiques ou encore ceux liés aux addictions. Les Australiens ont conçu cette méthode pour des personnes délivrant les premiers secours sur le terrain. La formation Mental Health First Aid (MHFA) a été adaptée au contexte français.

« Il s’agit de mener ensemble une réflexion, mettre en place des formations, des journées de sensibilisation, ou pourquoi pas des partenariats avec des mutuelles. » En tant que référent QVCT, Raphaël Zimmer compte aborder le sujet de la santé mentale avec l'ensemble des référents, partout sur le territoire, pour développer la formation PSSM. « On pourrait mener des actions avec la Fédération, la santé mentale étant la grande cause nationale de l'année 2025. »

S’emparer des instances

La CFDT santé-sociaux peut agir au niveau des différentes instances, CSE ou encore F3SCT, inscrire les risques professionnels dans le document unique d'évaluation des risques professionnels (Duerp). « Nous nous saisissons de ce document afin d’alerter des risques pour les travailleurs. La protection physique et mentale des travailleurs est un sujet législatif car l'employeur a l'obligation de prendre soin de la santé mentale de ses salariés, c’est le code du travail qui le dit ! »

Nombre de travailleurs subissent le « syndrome du petit chef », le fait de manager, sans consulter l'équipe, en opposition au management participatif. « Il faut, là encore, élaborer des formations spécifiques, pour la gestion du stress, des conflits, la charge de travail… pour emmener l'équipe sans l'écraser par son management. » Des représentants du personnel CFDT proposent, au CSE ou F3SCT, de mener des enquêtes sur l'état de santé des salariés, quand des signaux faibles sont constatés dans les services : absentéisme, turnover, arrêts maladie…

Un point important pour le secrétaire général du SD54, « c’est le rôle que peut jouer la médecine du travail ». Les salarié·es n'osent pas toujours aller au bout dans leurs démarches, créant ainsi un vide juridique. Pour avancer dans les démarches, il faut informer la médecine du travail. Les travailleur·euses en souffrance vont consulter chez leur médecin généraliste, plutôt que d’alerter le médecin du travail - en prenant directement rendez-vous ou en demandant au médecin généraliste de lui établir un compte-rendu de la situation. « Cette démarche va permettre de constituer un dossier, qui, avec suffisamment de preuves, peut permettre à la médecine du travail, de suspendre l'activité d'un manager toxique. C'est un acteur incontournable, et c’est aussi une communication que nous, syndicat, devons diffuser. »  

QVCT et cancer du sein

Des réunions régulières sont mises en place par les structures référentes en QVCT. En tant que référent QVCT, Raphaël rappelle, qu’en s’emparant de cette thématique, « il y a eu des avancées significatives, comme pour le cancer du sein. Les facteurs de risque - travail de nuit, rayonnements ionisants et produits chimiques -, qu'on a découvert chez des soignants atteints de cette pathologie, ont permis la reconnaissance du cancer du sein en maladie professionnelle. Des affaires se retrouvent devant les tribunaux, notamment en Moselle. » L’objectif est de sensibiliser les adhérent·es au niveau national, pour que ça fasse jurisprudence, puisque des personnes se trouvent dans ces situations et l'ignorent. La CFDT souhaite que le cancer du sein soit inscrit au tableau des maladies professionnelles.

Transition écologique

Autre grand axe des quatre prochaines années, la transition écologique : « Ce sujet urgent est malheureusement relayé au second plan à cause de l'actualité économique et des guerres dans le monde. En 2002, Jacques Chirac déclarait : "Notre maison brûle et nous regardons ailleurs"  au Sommet de la Terre de Johannesburg. » Une vingtaine d'années plus tard, les conséquences du réchauffement climatique sont de plus en plus visibles. « Le monde du travail va s’en trouver impacté et il va falloir mener des réflexions sur la manière dont nous adaptons nos pratiques professionnelles à cette problématique. Si les grandes puissances ne se mettent pas à la hauteur de l’enjeu climatique, nos actions resteront limitées. »

Les adhérents sont pourtant réceptifs à la transition écologique. « Notre axe revendicatif, c’est qu’elle soit "juste", pour que ceux qui se trouvent en bout de chaîne n’en paient pas les conséquences. » Raphaël a d'ailleurs participé à la Fresque du pouvoir d'agir, lors de la journée Effervescence, pour sensibiliser délégués syndicaux, représentants du personnel sur les leviers dont dispose la CFDT pour aborder la transition écologique. « L'obstacle, c’est le financement : la rénovation énergétique coûte cher. » Cette thématique, concerne davantage les jeunes, les gens, en général, préfèrent parler d’argent. Raphaël constate qu’« on peut parler de la fin du mois, ou de la fin du monde, les deux sujets se recoupent : il faut mener de front ces combats, car l’un ne va pas sans l’autre ».

Avancées salariales

Au-delà des enjeux sociétaux, les avancées salariales sont aussi un sujet pour Raphaël, mais « les leviers d'action se situent plus au niveau national ». Pour l’avenant 33, le syndicat départemental du 54 avait répondu présent au rassemblement du 27 mai à Paris devant le Palais de justice, pour le premier jour d'audience de l’assignation en justice de 300 groupes privés. « Ça fait donc partie de notre socle revendications. Le SD 54 monte au créneau dès que l'occasion se présente. »

Renouvellement générationnel

Le renouvellement générationnel est aussi une priorité. Il faut se donner les moyens de faire adhérer les jeunes au syndicalisme. La difficulté, c'est qu’ils changent de profession beaucoup plus rapidement. « Pour exemple, l'"espérance de vie professionnelle" d'une infirmière, aujourd'hui, est de cinq ans, ce qui rend difficile la fidélisation des jeunes au militantisme. Il faut faire passer l'idée que c'est une "assurance-vie professionnelle" , en vantant les mérites du syndicalisme par rapport aux droits, qu'on a acquis et ceux qu'on a à défendre. »

Autre objectif de Raphaël : intégrer un groupe « Jeunes ». « Du 29 au 31 octobre, nous nous rassemblons à Strasbourg, avec des référents jeunes issus des trois pays frontaliers : Belgique, Luxembourg et Allemagne. C'est un événement pionnier dans la région Grand Est.»

Des idées plein la tête, ce jeune secrétaire général départemental de 32 ans compte bien faire bouger les lignes du SD 54, en proposant des combats en phase avec sa génération.

Emmanuelle Bodiot

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