
#Agissons pour l'Unequal Pay Day
Pour la quatrième année consécutive, la CFDT santé-sociaux organisait le live Facebook #Agissons, le 14 novembre 2024, consacré à l’Unequal Pay Day, journée où les femmes ne sont plus payées par rapport aux hommes. Engagée en matière d’inégalités salariales femmes-hommes, la CFDT réunissait militants et professionnels, pour débattre autour du thème de la charge mentale.

En 2024, à partir du 8 novembre à 16h48, les femmes travaillent gratuitement par rapport aux hommes, et ce, jusqu’à la fin de l’année, selon la newsletter Les Glorieuses. Chargée des discriminations et de l'égalité professionnelle, Clotilde Cornière, secrétaire nationale CFDT santé-sociaux, est à l'initiative d'#Agissons, rendez-vous annuel qui pointe les inégalités salariales femmes-hommes. Nombre de facteurs peuvent expliquer ce déséquilibre, dont la charge mentale. Un exemple ubuesque, reflétant le poids de celle-ci chez les femmes, est relaté par Ève Rescanières, secrétaire générale CFDT santé-sociaux : « Une amie infirmière ne pouvait se libérer de son travail pour aller cherchez à l’école son enfant malade. Son mari s’est rendu à la crèche alors que son fils était scolarisé à l’école maternelle depuis deux ans. » Autrement dit, « il ne s’est jamais préoccupé de son inscription à l’école maternelle, n'a jamais pris rendez-vous avec la maîtresse et n'est jamais allé chercher son enfant en deux ans. »
Temps partiel : un facteur aggravant
Pour Béatrice Lestic, secrétaire nationale CFDT, « la charge mentale fait consensus dans les organisations syndicales et féministes ». Les écarts salariaux se creusent considérablement, du fait du temps partiel, « occupé à 80% par des femmes ». L’une des raisons majeures, « c'est le poids domestique et l’éducation des enfants qui pèsent sur elles ». Le recours au temps partiel leur permet de mener cette double charge, ce qui suppose « un désengagement professionnel ».
La charge mentale fait consensus dans les organisations syndicales et féministes. »
Dans la fonction publique, « les inégalités salariales femmes-hommes sont de 11,5% », précise Philippe Malaisé, secrétaire général adjoint CFDT Interco. « C’est une spécificité de la fonction territoriale que d’avoir des emplois à temps non complets, mal payés, et bien sûr très féminisés. » Le militant ajoute que « les agentes spécialisées des écoles maternelles (Asem), assistantes sociales, ou encore secrétaires de mairie multiplient les petits contrats pour avoir un salaire décent, ce qui provoque des amplitudes horaires énormes. »
Des inégalités salariales, quel que soit le métier
À la fédération CFDT santé-sociaux, Sonia Testud, secrétaire fédérale, constate que ce sont surtout les femmes de la fonction publique hospitalière – aides-soignantes, infirmières, sages-femmes –, qui subissent la charge mentale (étude Dares à télécharger). « En contact avec le public, elles ont de faibles marges de manœuvre, une faible reconnaissance sociale pour une quantité de travail excessive, avec de longues amplitudes horaires, tout en étant sous pression. »
De son côté, la fédération CFDT Agri-Agro, qui recouvre nombre de métiers – production agricole, métiers de la transformation, ou des services à l’agriculture –, lutte pour le statut des femmes dans ce secteur très masculinisé. Delphine Brochier, secrétaire fédérale, explique que ces dernières années « le monde agricole s’est un peu féminisé ». Pour autant, « ce sont les femmes qui se sont adaptées aux conditions de travail des hommes, et non l’inverse : dans les champs, elles n’ont pas accès à des toilettes, ou des points d’eau. Les équipements de protection individuel (EPI), les locaux ne sont pas adaptés à leur morphologie ».
La CFDT agit
Des solutions existent pour Sonia Testud : « Le travail, c’est un sujet de négociations dans l’entreprise. On négocie des accords de qualité de vie et de conditions de travail, des accords de temps de travail effectif, ou encore d’égalité professionnelle. » De ce fait, « les partenaires sociaux négocient, par exemple des expérimentations d’organisation du travail favorables à la santé des femmes et à l’articulation du temps de vie » dans le secteur de la santé, féminisé à 80%.
L’action et l’engagement en matière d’inégalités salariales font partie des priorités de la CFDT. Béatrice Lestic rappelle que « la CFDT Cadres revendique, depuis plus de vingt ans, un congé paternité de deux mois. Nous avons tout de même obtenu 28 jours, mais ce n’est pas suffisant ». Néanmoins, elle concède que cela permet aux pères « une prise de conscience pour s’occuper des tâches éducatives ».
Delphine Brochier se félicite d'« une avancée à mettre en lumière dans le secteur de l’accouvage : les salariées ont obtenu un congé menstruel. »
La fédération CFDT FEP (formation et enseignement privés) est chargée des métiers de la formation, occupés principalement par des femmes de plus de 40 ans. « Pour faire levier sur le sujet de l’égalité salariale femmes-hommes, nous avons mené une action auprès des proches aidantes, explique Alexis Guitton, secrétaire national. On réfléchit à la création d’un compteur temps mis à disposition du personnel. Quand un salarié se met en temps partiel pour aider un proche, il faut un maintien de salaire sur le temps libéré. » Sylvie Lehelloco, chargée de mission, retrace une action significative : « Pour la branche des organismes de formation, en 2022, un accord relatif à des aides financières a été mis en place, dans le cadre de la prévoyance santé, dont une de 2700 euros pour les personnes qui doivent prendre un congé proche aidant. »
Associations et collectifs engagés
Marie Vialaret est membre du collectif T’as pensé à ?, qui poste sur Instagram des témoignages de femmes qui subissent la charge mentale. Pour la jeune femme, on peut limiter celle-ci : « Depuis les travaux de la BD de Emma en 2017, il commence à y avoir une reconnaissance dans les champs médiatique, professionnel, associatif, militant, syndical et les mouvements féministes. » Dans le domaine institutionnel également : le Haut Conseil à l’égalité femmes-hommes (HCE) mentionne régulièrement les inégalités femmes-hommes dans la sphère domestique : « Il s’agit de pointer ce sujet comme systématique en tant que fait de société. Il faut des actions au niveau des pouvoirs publics, notamment le congé parental qui est une clé pour faire avancer les choses. »
Le congé parental qui est une clé pour faire avancer les choses. »
Nous avons pu élargir notre débat au niveau mondial avec Mathilde Pousseo, déléguée générale de l’Éthique sur l’étiquette. Ce collectif est, entre autres, membre et représentant en France du mouvement mondial Clean Clothes Campain, regroupant 400 organisations syndicales d’ouvrières (90% de femmes) du textile et de l’habillement travaillant dans des usines, essentiellement en Asie du Sud-Est. Précarisées, ces travailleuses ont difficilement recours à la syndicalisation et aux revendications. Mathilde Pousseo explique les actions de ce mouvement mondial : « On soutient les revendications des femmes, leurs droits d’association et droits syndicaux, ainsi que sur les systèmes de protection sociale. » L’organisation vient en aide aux travailleuses « en interpellant les grandes marques qui fait appel à des sous-traitants qui bafouent les droits des femmes ».
Charges psychique et nerveuse : à travail égal, salaire non égal
Julia Méry, déléguée à l’égalité professionnelle au HCE, explique que « la notion de charge mentale se trouve dans la sphère du travail invisible, notion héritée des années 1970 ». Le lien entre charge mentale et inégalité des salaires, « c’est l’évaluation des postes, objet des classifications » (Document HCE à télécharger).
Par ailleurs, on parle de « critères manquants, tels que l’exigence professionnelle, les charges physiques et nerveuses ». Et dans les métiers féminisés, les charges physiques ne sont pas prises en compte, comme les aides à domicile, « lorsqu'une femme doit amener une personne âgée aux toilettes ou l’aider à prendre sa douche. » À l'inverse, « pour la collecte des ordures ménagères, métier très masculinisé, ce sont 1000 euros de plus par mois de primes de valorisation pour les hommes ».
Cependant, un sujet d’actualité prometteur est la mise en place du Haut Conseil des rémunérations de l’emploi et de la productivité où la ministre du Travail invite les branches professionnelles en dessous des minima salariaux à les revaloriser. « De ce fait, de gros enjeux vont entraîner ces questions de classification », espère Julia Méry.
Dans les métiers féminisés, les charges physiques ne sont pas prises en compte »
Pour Benjamin Vitel, secrétaire national CFDT santé-sociaux, il faut d’abord parler de travail de « valeur égale, salaire égal », établi selon différents critères : connaissances, capacités liées à l’expérience acquise, responsabilités, charges physique et nerveuse.
« Il n’y a pas de problème de charge nerveuse car ce n'est écrit dans aucune convention collective du secteur, et pourtant celle-ci fait partie des critères. » Se pose alors la question de la mesure (niveau de qualification, expérience) et de l'objectivité. « On a tous été confrontés à la mort, mais dans la santé, on y est confrontés toutes les semaines et c’est une véritable charge nerveuse non reconnue. » Et côté employeurs ? C’est un réel frein de reconnaissance de leur part car ils ne reconnaissent pas ces critères. Alors comment on l’évalue ? L'enquête Sumer (à télécharger) analyse l'évolution des expositions aux risques professionnels des salariés.
Par ailleurs, la directive européenne du 10 mai 2023 visant à renforcer l'application du principe de l'égalité des rémunérations femmes-hommes, pour un même travail ou de même valeur, doit être transposée en France en 2026. « C’est un pas en avant pour l’égalité salariale, conclut Benjamin Vitel, et un levier considérable pour nous, organisation syndicale. »
Ève Rescanières a conclu cette matinée de débat avec optimisme : « Les choses peuvent changer, car nous les femmes, avons l’éducation de nos enfants entre les mains. À nous de donner les bons signaux à nos garçons, qui plus tard seront des pères. »
Emmanuelle Bodiot